C’est en 1936 qu’est créée l’Union Départementale des Syndicats CGT, qui regroupa la quasi-totalité des syndicats existant en Guadeloupe. Elle était alors l’une des composantes de la Confédération Générale du Travail de France. Le contexte général dans lequel est fondée l’UD-CGT de Guadeloupe fut marqué par la crise économique mondiale, 7 ans après le krach de 1929 à Wall Street, par la marche vers le deuxième conflit impérialiste mondial, et par des luttes ouvrières extrêmement importantes aux Antilles et à l’échelle mondiale.
En France, la grève générale de juin 36 démontra la force de la classe ouvrière. C’est cette grève qui permit entre autre aux travailleurs d’obtenir les congés payés. En Guadeloupe, les luttes furent aussi fortes, nombreuses, principalement dans le secteur sucrier. Et notamment dans le secteur de l’usine Bonne Mère à Sainte Rose.
Dans ce secteur, on remarque que les grèves avaient toujours lieu dans le courant des mois de janvier, février, car elles correspondaient à l’ouverture de la récolte sucrière.
Félix Eboué, fut envoyé comme gouverneur à la Guadeloupe pour tenter d’éteindre les incendies sociaux qui se déclaraient un peu partout dans l’île. Le gouvernement français misait sur le fait qu’il était noir pour ce faire. Mais il ne put empêcher qu’en février 1937, toujours à l’ouverture de la récolte, il y eut des affrontements sérieux et des blessés parmi les travailleurs dans la région de Pointe à Pitre. La même année, en juillet, les dockers du port de Pointe à Pitre entrèrent en grève à leur tour.
C’est aussi dans le contexte des luttes de 1936 que fut créé le SNI : Syndicat National des Instituteurs, sous l’impulsion d’Amédée Fengarol et de Félix Edinval. Le SNI fut aussi animé activement par trois dirigeants syndicaux : Verdol, Luxa Diakok et Portécop. Tous ces militants rejoignirent le Parti Communiste Guadeloupéen après la deuxième guerre mondiale.
La situation et les luttes après la seconde guerre mondiale
Après la deuxième guerre mondiale, les luttes ouvrières reprirent de plus belle. Elles furent notamment marquées par l’émergence de militants et de dirigeants du Parti Communiste Guadeloupéen (PCG) fondé en 1944. Ces militants jouèrent un rôle important, tant parmi les travailleurs, qu’au sein de l’UD-CGT. Des camarades comme Pierre Tarer, Hermann Songeons, et bien d’autres militants communistes ou liés au PCG jouèrent un rôle non négligeable dans la défense des travailleurs. C’était l’époque où Rosan Girard, co-fondateur, du PCG galvanisait les foules et en particulier les travailleurs. Ces années d’après-guerre furent aussi l’époque où ces mêmes militants communistes se battirent avec acharnement pour la mise en place de la Sécurité Sociale en Guadeloupe.
L’une des plus grandes grèves de cette période fut celle des ouvriers de l’usine à sucre Marquisat en 1946. C’est au cours de cette grève que les travailleurs séquestrèrent Descamp, secrétaire du syndicat des fabricants de sucre, alors qu’il traversait Capesterre en voiture. Il fut attaché au soleil pendant plusieurs heures car c’est lui qui refusait disait-on de donner satisfaction aux grévistes. La grève s’était terminée sur une demi-victoire, les ouvriers n’obtenant pas totalement l’augmentation qu’ils réclamaient. Mais ils obtinrent tout de même une augmentation substantielle.
- 1949 : grève des fonctionnaires locaux pour l’application en Guadeloupe de la Sécurité Sociale. Grève des travailleurs des hôpitaux.
- 1953 : trois mois de grève des fonctionnaires qui obtiennent la prime de vie chère de 40%, déjà perçue par les fonctionnaires venant de métropole.
Le Moule : février 52, une répression sanglante
Le 14 février 1952, le gouvernement colonialiste français massacrait des habitants de la ville du Moule lors de la grande grève de janvier-février 1952. Ce jour on releva officiellement cinq morts et de nombreux blessés.
Les revendications portaient sur l’augmentation des salaires ouvriers qui n’avaient pas bougé depuis 1946 alors que le coût de la vie avait considérablement évolué. La Chambre de Commerce, qui estimait l’augmentation de la vie à 187% entre 1938 et 1950, situait le salaire minimum à 125F/heure. C’est sur cette base que les syndicats entamèrent les négociations avec les patrons en novembre – décembre 1951. Ces derniers ne proposaient que 60F/H. Dans un esprit de conciliation, les représentants de travailleurs ramenèrent leur revendication à 100F/H, toutes catégories confondues, ce que rejetèrent les patrons usiniers.
L’esprit esclavagiste existait toujours chez les petits fils des esclavagistes blancs du secteur. Les tâches imposées aux coupeurs de cannes, aux amarreuses, aux transporteurs et autres étaient vraiment inhumaines. La tâche consistait à couper et faire mettre en paquets 5000 bouts de canne d’un mètre de long. Les ouvriers demandaient une réduction des tâches. Les «Blancs» – comme les appelaient les ouvriers, répondaient, non ! Les syndicats réclamèrent aussi les ristournes dues aux planteurs sur les cannes livrées en 1950 et 1951, mais les usiniers refusaient d’en parler.
La situation s’envenima quand le gouvernement colonialiste français, volant au secours des capitalistes usiniers, fixa de Paris le salaire minimum à 76F/H en Guadeloupe. Ce fut alors la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Regroupés en cartel, les syndicats, tous secteurs confondus, lancèrent un mot d’ordre de grève générale et, ensemble, sillonnèrent le pays pour populariser le mouvement. Le cartel était formé de la CGT (Gargar), de l’Union départementale (Nicolas Ludger), de la CGTC de la CFTC (Démocrite) du syndicat autonome des enseignants (Bellot) du syndicat des médecins hospitaliers (Dr François-Julien).
Les ouvriers sillonnaient les campagnes afin de débaucher les hésitants. Il y eu de nombreux accrochages avec les CRS, notamment à Sainte-Rose, (habitations Comté et Bonne Mère), à Capesterre-Belle Eau (habitation de Marquisat), à Petit Bourg où les grévistes jetèrent des bombes artisanales sur les CRS du côté de l’habitation Roujole.
Le mouvement s’est généralisé dans toute la Guadeloupe, à tel point qu’au carrefour de Morne à l’Eau un «char» rempli de canne fut renversé sur la chaussée le 08 février 1952. Un des CRS venus pour réprimer la population lança une grenade lacrymogène qui lui fut renvoyée par un manifestant. Sa main fût déchiquetée
La solidarité venait de tout le pays, donnant plus de force au mouvement. Pour la première fois, les élus du Conseil général présidé par Omer Ninine refusèrent d’examiner le budget présenté par le préfet d’alors, Villeger, qui s’en tenait à 76F/H.
Les dirigeants des usines de Beauport (Port-louis) et Blanchet (Morne à l’eau) lancèrent l’ordre de coupe. Ils ne furent pas entendus. Le 09 février 1952 à Blanchet les CRS furent mis en déroute par les grévistes dans les champs.
Le 10 février le cartel tint une importante conférence d’information à la mairie du Moule où Rosan Girard était député-maire. Césario Siban, premier adjoint, faisait fonction de maire. Ce fut un véritable succès.
Le lundi 11 février, et cela, jusqu’au jeudi 14 février 1952, les CRS en tenue de combat et armés jusqu’aux dents sillonnèrent la ville en camions et jeeps, en insultant et en provoquant la population. Le jeudi 14 ils arrêtèrent un jeune qui jouait avec une pierre à la main. A l’annonce de cette arrestation une barricade se forma, à la sortie du bourg, que les CRS cherchèrent, sans succès, à détruire.
Ils profitèrent de cet incident pour tirer sans sommation sur tout ce qui bougeait. Ce fut une abominable tuerie, à proximité du cimetière et du boulevard Rougé, touchant des passants, désarmés, sans défense.
Constance Dulac, enceinte, Justinien Capitolin, Edouard Dernon et François Serdot, furent abattus. 14 personnes furent blessées.
Suite à cette tuerie les travailleurs, les jeunes n’ont pas hésité à caillasser les véhicules des CRS qui sortaient de la ville leur forfait terminé, à coup de conques à lambi et de pierres, mais le combat était évidemment inégal.
Une longue série de répressions sanglantes contre les travailleurs
Il est vrai que les tueries dans le secteur de la canne ne manquaient pas dans la colonie On a connu celle de Saint François en 1910 (4 morts et 12 blessés) à Petit Canal en 1925 (Duval, 6 morts et 7 blessés) et en 1930 à Sainte-Rose et à Raizet aux Abymes (3 morts). Comme on peut le constater, l’État colonial n’a jamais hésité à faire le sale boulot pour les intérêts des capitalistes békés et autres. C’est l’État des capitalistes. C’est d’autant plus significatif que les troupes coloniales avaient choisi la commune du Moule dont le maire, Rosan Girard, était le secrétaire de la section communiste de Guadeloupe et particulièrement visé par l’administration coloniale. Le gouvernement français et le préfet Villeger ont voulu frapper fort au Moule d’autant plus que des élections municipales avaient lieu en 1953. D’ailleurs dès la fin de la tuerie, les intimidations, les convocations chez le juge, les provocations, bref, tout l’appareil répressif colonial s’est mis en marche. Mais jamais les travailleurs n’ont courbé l’échine dans la colonie, même «départementalisée» depuis 1946.
Assimilation, départementalisation : une déception
Au cours de ces années, l’UD-CGT, prenant position dans les débats politiques, défendit le passage de la Guadeloupe de colonie à Département français. C’était en particulier la politique du Parti Communiste Guadeloupéen, dont de nombreux militants dirigeaient et animaient aussi l’UD-CGT, tout comme celle de Césaire en Martinique. A l’époque la politique de «départementalisation» apparaissait comme une revendication «progressiste», dans le sens d’une exigence de «progrès social» et de la sortie du sous-développement colonial et de la misère chroniques.
C’est le 19 mars 1946 que le gouvernement français fit de la Guadeloupe et de la Martinique deux départements français.
Mais la désillusion arriva vite. Plusieurs années après la «départementalisation» force fut de constater que ce changement de statut ne rapportait pas grand-chose aux travailleurs et aux pauvres des Antilles. Le colonialisme et son exploitation brutale persistaient.
En fait, il fallut presque 50 années de luttes, de grèves, de manifestations pour obtenir l’égalité des droits, ou presque les mêmes droits sociaux, le même SMIC et autres petits avantages sociaux que ceux que les travailleurs français avaient déjà obtenus de haute lutte. C’est la longue lutte syndicale et politique des travailleurs, soutenus en particulier par le Parti Communiste qui fut l’acteur de ce progrès social relatif. Le PCG n’avait cessé de mettre en avant «la lutte pour l’égalité des droits» (sous-entendu avec la France).
Cependant, dés la fin des années 50, au sein du PCG et dans une fraction de la jeunesse étudiante et lycéenne, l’idée que les Guadeloupéens devaient gérer eux-mêmes leurs affaires se développait. Les idées autonomistes et/ou indépendantistes commençaient à gagner ces milieux. Le mouvement syndical n’en fut pas totalement exempt.
C’est à cette période que l’UD-CGT défendit l’idée de son indépendance organisationnelle. Elle décida de se constituer en centrale syndicale indépendante, adhérant à la FSM (Fédération syndicale mondiale) : la CGTG.