Les luttes ouvrières, Légitimus et le Parti Socialiste

Hégésippe Légitimus

Les luttes des travailleurs à la fin du 19ème siècle et au début du siècle dernier furent à la fois impulsées soutenues et trahies par des hommes politiques du Parti socialiste de la Guadeloupe, section du parti socialiste français membre de la deuxième internationale : SFIO (section française de l’internationale ouvrière). En particulier, Hégesippe Légitimus devint le leader de cette classe ouvrière pendant plusieurs années en défendant ses intérêts, avant de les trahir en prônant une alliance avec les usiniers sous la forme dite de «l’alliance capital-travail»

Malgré tout, le grand mérite de Légitimus fut de contribuer au renforcement de la conscience de classe des travailleurs en utilisant la classification de classe et de couleur du système esclavagiste et colonial lui même. Les Blancs constituaient la bourgeoisie, les Mulâtres, la petite bourgeoisie, les Noirs, le prolétariat et les pauvres, tout en bas de l’échelle. « Le Parti des Noirs» ne pouvait être qu’un parti ouvrier puisque c’était eux, les Noirs qui constituaient  la classe ouvrière, la classe des défavorisés, la classe des pauvres.

Légitimus incarna donc pendant plusieurs années, la lutte des Noirs, la lutte des travailleurs noirs contre l’oppression des capitalistes des usines à sucre, de la caste bourgeoise et raciste békée. Et ce, à tel point qu’il fut parfois surnommé «le Jaurès noir» Il y eut donc une forte influence mutuelle entre le mouvement ouvrier de la fin du 19ème siècle et des tout débuts du 20ème siècle d’une part, et le Parti socialiste et ses dirigeants d’autre part.

Mais au sein de la deuxième internationale ouvrière et des partis socialistes du monde, des tendances à la collaboration de  classe avec la bourgeoisie se firent jour. Certains participèrent à des gouvernements bourgeois, acceptèrent des postes de ministres de la bourgeoisie. En Guadeloupe, elles eurent leur traduction dans la politique d’entente «capital-travail», politique qui fut défendue par Légitimus. Bon nombre de travailleurs prirent conscience de la trahison, et grands furent la déception et le découragement.

Cependant, Légitimus et les premiers socialistes avaient créé et développé, entre le « parti des Blancs » et celui des «Mulâtres»  un troisième parti, le «Parti des Noirs», «le terrible troisième» sous l’étiquette du socialisme, révolutionnaire au début. Son programme lui  avait valu  l’adhésion de plus en plus large de l’opinion ouvrière : « réduction à huit heures de la journée de travail, salaire à 5 francs, introduction du code des marchés, création des Prud’hommes, de l’AMG ( assistance médicale gratuite), de bains et lavoirs publics, abolition du travail de nuit pour les femmes et les enfants, protection des femmes enceintes, ouverture de maternités, hospices, maison de retraite, assainissement de l’habitat aux frais des propriétaires, laïcisation des écoles pour diffuser ‘‘le savoir’’ et soustraire les jeunes à l’influence du clergé et de l’Eglise, ferments de l’obscurantisme et alliés du pouvoir et de l’usine ; création de bourses, de cours d’adultes, abolition de subventions aux grandes compagnies et établissements, aux monopoles et aux cultes, expropriation des moyens de production».

Alors, malgré la trahison, il n’est pas étonnant que Légitimus et le Parti Socialiste de l’époque soient retenus dans la mémoire collective comme les premiers alliés ayant contribué à forger les premières traditions de lutte de la classe ouvrière, les premières organisations syndicales.

Les premiers syndicats

Les premiers syndicats virent le jour entre 1887 et 1901,  dans le sillage  du mouvement d’Hégésippe  Légitimus. La première bourse du travail fut créée en 1902. En 1905, elle comptait 23 syndicats affiliés et elle eut pour secrétaire Félix Alidor.

En 1920 fut créée «l’Union Générale des Personnels de la Guadeloupe et des Dépendances». En 1921, la Fraternité Ouvrière regroupa des ouvriers du bâtiment. En 1926, l’association Professionnelle des fonctionnaires de la Guadeloupe, le syndicat des ouvriers d’Imprimerie virent le jour.

Il est un fait cependant que lors des grèves qui suivirent « l’entente capital travail », Légitimus et les socialistes ne cessèrent d’appeler les travailleurs «à la raison, au calme» et que c’est fort de leur neutralité bienveillante voire de leur soutien que les capitalistes firent régulièrement tirer sur les travailleurs.

Ces travailleurs n’en poursuivirent pas moins leurs luttes, indépendamment de ces directions politiques.

Les premières grèves

Si l’une des premières grèves fut celle des gabarriers de Pointe à Pitre en 1900, ce furent les travailleurs de la canne et du sucre qui entamèrent les premières grandes grèves.

A la fin du mois de mars 1900 les travailleurs de l’usine Darboussier à Pointe à Pitre, se mirent en grève en pleine période de récolte, pour une augmentation de salaire. Dans un premier temps, le directeur demanda la protection de la police au Gouverneur, et fit amener à Pointe-à-Pitre des travailleurs d’habitations extérieures.  Malgré tout, l’usine tourna au ralenti, mais tourna et la grève commença à pourrir doucement. Au matin du cinq avril, une majorité de grévistes reprirent le travail sans mot dire. Il y eut des grèves aussi à la Retraite, à Bonne mère (Sainte Rose). Cependant, le mécontentement généralisé  se traduisit par des incendies dans les champs de canne.

Le bilan de ces grèves de 1900 ne fut pas entièrement négatif puisque naquit une organisation syndicale issue du mouvement de grève de Bonne-Mère.

De plus, ces grèves de 1900 avec une classe ouvrière sans expérience, sans organisation, donna le coup d’envoi des luttes des travailleurs qui ne s’arrêtèrent quasiment plus, avec bien sûr des pics et des creux, jusqu’à nos jours :

  • En 1902, les foyers de conflits et d’agitation s’étendirent en Grande terre aussi bien chez les petits planteurs que chez les ouvriers agricoles.

La grève historique de février 1910

Elle connut une répression sanglante. Elle fut, avec la grève générale de 2009, la plus importante grève de l’histoire du mouvement ouvrier de la Guadeloupe. Elle fut générale, étendue à toute la Guadeloupe dans les champs de canne dans les usines à sucre. Les travailleurs se battaient pour des augmentations de salaire. Les forces de l’ordre tirèrent sur les grévistes faisant 3 morts et six blessés à l’usine Sainte Marthe de Saint François. A Capesterre Belle-Eau, après un rassemblement houleux aux «Mineurs», il y eut plusieurs arrestations. Les travailleurs et la population manifestèrent alors devant la gendarmerie. Les forces de répression coloniales firent feu, faisant un mort et six blessés.

La situation et les luttes après la 1ère guerre mondiale

  • 1920 :   grève des fonctionnaires.
  • Juin 1920 grève des métallurgistes de l’usine Darboussier. Une délégation du syndicat de «l’Union des travailleurs» présenta les revendications : «application de la journée de 8H ; maintien des salaires de la récolte pendant l’inter saison, l’engagement qu’il n’y aura pas de poursuites pour faits de grève». En juillet, devant le refus de la direction, tous les métallurgistes des autres sites (la compagnie, les métallos de Fouillole chargés de réparer le matériel de l’usine) se mirent en grève. La direction céda.
  • 1924 : grève des dockers.
  • 1925 : grève  à l’usine Duval de Petit Canal qui connut une répression sanglante. Les petits planteurs réclamaient une augmentation du prix de la tonne de canne. Les gendarmes firent feu,  faisant 6 morts et 7 blessés.
  • 1930 : grève aux Abymes et à Bonne-mère. Elle connut encore une répression sanglante. Une femme est tuée à Bonne mère, deux ouvriers tués aux Abymes.
  • 1932 : février : grève des ouvriers de l’usine Grande Anse à Marie Galante.
  • 1934 : janvier, février, grève des ouvriers d’usine, soutenue par les travailleurs des champs.
  • 1935 : février, grève des ouvriers agricoles de Marie Galante.